A l'occasion de la sortie de son livre "L'ennemi encombrant ", Ziad Takieddine souhaite régler ses comptes avec "d'anciens amis qui le traitent comme un bouc-émissaire". Il dénonce également les manipulations dont il estime avoir été victime.
Marchand d'armes, intermédiaire, homme de l'ombre... on vous présente comme un personnage à la réputation sulfureuse. Qui êtes-vous ?
Tout d’abord, je précise qu’un marchand d’arme est celui qui fabrique et vend des armes, ce qui n’est pas mon cas. L'image que l'on donne de moi est, sur bien des aspects, totalement fausse. Mon travail consiste à mettre en relation des Etats entre eux, dans le cadre d'échanges commerciaux. De manière plus précise, j'essaye d'œuvrer au maintien de ces liens entre mon pays – la France – et ceux du Moyen-Orient que je connais bien. Et ce, en dépit des très mauvais traitements des dossiers de la part des autorités françaises. Je ne me considère pas comme un intermédiaire dans la mesure où je ne suis jamais directement intervenu dans la négociation d'un contrat. En cas de problème, j'aide simplement à aplanir les différents entre les interlocuteurs, afin que ceux-ci ne mettent pas en péril la signature de ces contrats.
Au-delà de l'aspect financier quel est votre intérêt ?
Celui de servir l'Etat Français, en permettant, à mon niveau, d'aider aux relations entre les pays. Alors certes, je suis payé en percevant des sommes très importantes. Mais je ne suis jamais rétribué par de l'argent français. Ce sont les pays qui passent les contrats avec la France qui me rémunèrent en fonction des missions accomplies.
Vous venez de publier un livre *, dans lequel vous critiquez la politique commerciale à l'international. Quel est le problème ?
Le constat est simple : en cinq ans, la France n'a pas su vendre sa technologie au niveau international. Je prends l'exemple des pays du Moyen-Orient qui, on le sait, possèdent des ressources pétrolifères synonymes d'importants fonds souverains. En cinq ans, la France n'a pas été capable de signer un contrat digne de ce nom, alors que dans la même région, au cours des années 2010-2011, les Etats-Unis ont enregistré 468 milliards de dollars de contrats.
La France ne possède peut-être pas la puissance commerciale des Etats-Unis ?
La France est une grande puissance, et la cinquième économie du monde. Elle dispose de technologies de premier plan, comme le TGV, l'aviation militaire ou le nucléaire. Mais même avec cela, elle réussit à perdre des contrats. Regardez la gestion du TGV en Arabie Saoudite en octobre 2011. La France était la mieux placée, et Alstom possède un savoir-faire qui n'est plus à démontrer dans ce domaine. Mais au dernier moment, ce sont les Espagnols qui ont décroché le contrat.
Selon vous, pour quelles raisons la France perd-elle ces contrats ?
J'estime que Nicolas Sarkozy est le plus mauvais VRP que la France a connu. Et je ne peux pas dire qu'il ait été aidé par son gouvernement. A cela s'ajoute une certaine arrogance française qui passe très mal auprès des acheteurs. Pour bon nombre de pays, la France est un pays commerçant qui ne sait pas vendre ses produits. En raison de cette attitude et selon mes calculs, la France accuse un manque à gagner de près de 60 milliards d'euros de contrats chaque année.
Dans un contexte de crise économique, pensez-vous que les contrats commerciaux passés à l'international sont-ils pour autant une priorité de l'économie française ?
Nicolas Sarkozy dit qu'il faut aller chercher la croissance "avec les dents". En d'autres termes, il faut aller chercher l'argent où il se trouve. Alors oui, il y a de l'argent au Moyen-Orient. En passant des contrats avec certains de ces pays, la France peut espérer engranger des sommes nécessaires au développement de son économie, de son industrie et donc de ses emplois. Mais pour ce faire, il faut une stratégie précise. Enfin, une stratégie claire qui ne repose pas uniquement sur un rapprochement avec le Qatar, pays auprès duquel, d'ailleurs la France n'a décroché aucun contrat.
Le Qatar pose problème selon vous ?
Ce n'est pas le Qatar en tant que tel qui pose problème, mais plus directement sa montée en puissance dans certaines entreprises françaises. Regardez l'industrie du nucléaire. L'ancienne dirigeante d'Areva, Anne Lauvergeon, s'est opposée très fermement à la ligne politique voulue par Nicolas Sarkozy sur le nucléaire. Elle a été limogée dans les circonstances que l'on connaît. Peu après, le Qatar entrait dans la participation d'Areva, via M. Roussely, ex-P-DG d’EDF vice- président du Crédit Suisse dont le royaume du Qatar est le principal actionnaire via QIA (Qatar Investment Authority). J'ajoute qu'aujourd'hui, grâce à M.Sarkozy, il existe une convention fiscale passée entre la France et le Qatar, permettant à ce dernier ne pas payer un centime d'impôts sur les plus-values réalisées par ce pays dans le cadre de ces investissement dans l'Hexagone. Convention fiscale, qui selon moi, est unique en France et dans le monde !
Si selon vous, Nicolas Sarkozy est un très mauvais VRP, plusieurs personnes dans son entourage auraient-elles pu l'aider à rectifier le tir ?
Non, ces personnes ont participé à saper l'image commerciale de la France sur la scène internationale. Selon moi, trois personnes ont joué un rôle majeur dans ces opérations : Claude Guéant, Bernard Squarcini, Alexandre Djouhri. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur est le VRP par excellence, toujours prêt à sauter dans un avion sur la demande de Nicolas Sarkozy pour prêcher la bonne parole. Bernard Squarcini (à la tête de la direction centrale du renseignement intérieur, ndlr) quant à lui s'occupe des questions de sécurité, et de renseignements dans le cadre des opérations commerciales mises en oeuvre. Alexandre Djouhri est une personnalité plus discrète, plus complexe aussi, mais bénéficie de ses entrées au sein des comités de directions des plus grandes entreprises du CAC 40.
Mais comment vous êtes-vous retrouvé à assumer ses missions d’intermédiaire?
Nous sommes en 1993. A cette époque, je quitte la direction de la station de sports d'hiver d'Isola 2000 pour l'Arabie Saoudite. On m'a demandé une mission. J'ai sollicité certaines connaissances au profit des personnes qui nous gouvernent encore aujourd'hui. J'ai fait de mon mieux pour que des contrats commerciaux se réalisent et ce, sans percevoir le moindre argent de la France. Entre 1996 et 2003, je n'ai pas eu d'activités à leur profit, je me suis contenté d'observer.
Vous n'avez pas toujours tenu ces propos de dénonciation. Vous avez même très bien connu certaines personnes que vous visez, Claude Guéant en tête.
En 2003, j'ai contacté le ministre saoudien de l'Intérieur. Il souhaitait alors pouvoir mener à bien des échanges commerciaux avec l'Etat Français, avec son homologue français. J'ai organisé un rendez-vous avec le ministre de l'Intérieur , Nicolas Sarkozy, dont le directeur de cabinet était M. Claude Guéant. Le but était de rompre avec les performances critiquables du président de la République dans les échanges précédents entre nos deux pays. La suite, on la connaît…
A vos yeux, il faut un changement politique majeur ?
Oui, et au plus vite. Il faut un changement en profondeur, afin de reprendre les discussions avec les partenaires commerciaux internationaux. Pendant des années, on a prostitué la France à l'étranger. Il y a un sérieux travail de réhabilitation à mener, et un système de corruption à abattre.
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