MADRID (AFP) - Connu dans le monde entier pour avoir traqué les atteintes aux droits de l'Homme, Baltasar Garzon a été condamné jeudi à 11 ans d'interdiction d'exercer par la justice espagnole pour une affaire d'écoutes illégales, ce qui met sans doute fin à sa carrière météorique de magistrat.
La décision du Tribunal suprême tombe après la mise en délibéré, mercredi, d'une autre affaire beaucoup plus sensible : le procès qui le vise pour avoir enquêté sur les plus de 100.000 disparus du franquisme.
Quelle que soit désormais la décision des juges dans ce dossier polémique, la carrière de magistrat de Baltasar Garzon, 56 ans, pourra difficilement survivre à ce premier jugement.
"Nous condamnons l'accusé Baltasar Garzon en tant qu'auteur responsable d'un délit de forfaiture (...) à 11 ans d'interdiction spéciale pour le poste de juge ou de magistrat", ont décidé "à l'unanimité" ses juges, qui lui ont en outre infligé une amende.
Ce jugement n'admet pas d'appel en Espagne, même si Baltasar Garzon peut saisir le Tribunal constitutionnel s'il estime que ses droits n'ont pas été respectés. Il peut aussi faire un recours auprès de la justice internationale.
Pendant les onze ans de sa peine, il ne pourra pas non plus exercer un "emploi ou (une) fonction juridictionnelle ou de gouvernance au sein du pouvoir judiciaire", précisent les juges.
La décision entraîne son "expulsion de la carrière judiciaire", a indiqué le Tribunal suprême à la presse, ajoutant que le magistrat pourrait "demander à être réadmis après 11 ans".
"Nous continuerons à lutter pour (démontrer) l'innocence qui aujourd'hui nous a été refusée", a réagi mercredi son avocat, Francisco Baena Bocanegra, à la télévision publique.
M. Garzon était suspendu depuis mai 2010 de son poste de juge d'instruction de l'Audience nationale, la plus haute instance pénale espagnole.
Il a finalement été condamné jeudi pour avoir ordonné des écoutes de conversations entre des suspects incarcérés et leurs avocats, en violation des droits de la défense, dans une enquête sur un réseau de corruption qui avait éclaboussé en 2009 la droite espagnole.
Le délit de forfaiture, ou de prévarication, désigne dans cette affaire une décision dictée par un juge tout en sachant qu'elle est injuste.
L'accusation demandait jusqu'à 17 ans d'interdiction d'excercer.
Dans leur décision, les juges ont des mots très durs envers M. Garzon, comparant ses pratiques à celles de "régimes totalitaires où tout est considéré comme valable pour obtenir l'information recherchée".
Pendant le procès, du 17 au 19 janvier, Baltasar Garzon avait expliqué ses méthodes en soulignant qu'il soupçonnait les avocats d'aider leurs clients à blanchir des capitaux.
Le ministre de la Justice, le conservateur Alberto Ruiz Gallardon, s'est limité jeudi à exprimer, devant la presse, son "respect absolu envers les décisions" judiciaires.
L'opposition socialiste s'est elle déclarée "inquiète" face à un jugement qui ne lui "plaît pas", soulignant la "lutte infatigable contre le trafic de drogue, le terrorisme et la corruption" de Baltasar Garzon.
Mercredi, le Tribunal suprême avait mis en délibéré la deuxième affaire controversée visant le magistrat, dans laquelle il est jugé pour avoir enfreint la loi d'amnistie votée par le Parlement espagnol en 1977, en ouvrant une instruction en 2008 sur le sort de plus de 100.000 personnes portées disparues pendant la Guerre civile (1936-39) et le franquisme (1939-75).
Le désormais ex-juge est mis en examen dans un troisième dossier, portant notamment sur le financement indirect par la banque espagnole Santander de conférences sur le terrorisme qu'il a données à New York en 2005 et 2006, après lesquelles il a classé sans suite une plainte contre Santander pour délit.
Cette accumulation rare en Espagne d'affaires visant un haut magistrat pousse les partisans de M. Garzon à dénoncer un complot ourdi pour détruire la carrière d'un homme qui a dérangé dans tous les milieux avec ces enquêtes sensibles.