Engendrant une fierté légitime au sein de l’Indian Air Force, la structure du Su-30MKI (MKI pour Modernizirovannyi Kommercheskiy Indiski – modernisé, commercial, Inde) ne diffère pas fondamentalement de celle du Su-30, si ce n’est l’adjonction de deux plans canards devant améliorer la manœuvrabilité. Cette dernière est d’autant plus importante que la motorisation fait appel à deux Luylka AL-31FP de 12,5 tonnes de poussée unitaire (avec PC), les tuyères étant équipées d’un TVC qui, une fois activé, augmente considérablement le taux de roulis de l’appareil (les tuyères ayant un débattement de 15° sur le plan vertical). On estime que 920 de ces réacteurs d’une durée de vie théorique de 1 000 heures seront produits sous licence par HAL. In fine, à altitude et configuration optimale, l’appareil atteint les Mach 2. Selon certaines sources, les appareils indiens pourraient, à terme, recevoir 2 Luylka AL-37FP, à la poussée plus importante.
Innervant ses commandes, le système Fly By Wire est à quadruple redondance et inclut des actuateurs électro-hydrauliques. Le système est, en outre, en mesure de compenser des réactions trop violentes du pilote, en montée par exemple, qui pourraient excéder la résistance structurelle de l’appareil. Autant de caractéristiques qui font du MKI un appareil exceptionnellement manœuvrant, ce qu’exploitent les pilotes indiens à merveille. Leur entraînement implique ainsi le « Cobra de Pugatchev », de même que des figures extrêmement contraignantes pour l’appareil comme pour ses opérateurs.
Si le Su-30 MKI est conçu pour maximiser sa manœuvrabilité à basse comme à haute vitesse – en faisant un excellent appareil de dogfight – ses missions d’attaque lui imposent un rayon d’action important. Il dispose ainsi d’une autonomie de 4,5 heures de vol sur carburant interne et est, par ailleurs, ravitaillable en vol. Avec son utilisation, les Indiens mènent des missions de plus de 10 heures, des commandes de rations individuelles optimisées pour les pilotes ayant en outre été effectuées. À cette fin, le cockpit est doté de casiers de rangements au bénéfice de réserves alimentaires, en eau et en oxygène, et de sièges éjectables KD-36M, inclinés .
Une avionique soignéeDe telles missions imposant un système de navigation performant, l’Inde a choisi de doter ses appareils d’un système de navigation A-737 compatible au GPS, SAGEM DS ayant fourni un gyroscope laser pour la navigation inertielle, de même que le système GPS. Doté d’un pilote automatique, l’appareil a été doté d’un cockpit particulièrement soigné, comprenant un HUD Elta Su967 et 7 écrans couleurs multifonctions. L’écran arrière, de 152 sur 152 mm, est utilisé par le WSO (Weapon System Officer) pour le contrôle des munitions à guidage TV et IR.
Le principal capteur du Su-30MKI est le radar PESA (Passive Electronically Scanned Array) NIIP N011M Bars, d’une masse de 100 kg et doté d’une antenne faisant 1 m de diamètre et nécessitant un nouveau dessin du nez de l’appareil comparativement aux versions précédentes. Capable de fonctionner simultanément en modes air-air, antinavires et air-sol. Dans ce dernier cas, le radar assure la cartographie, dispose de fonctions SAR et aussi de détection d’objectifs mobiles. Le Bars a une portée maximale de 350 km en mode recherche et 200 km en mode poursuite. Selon des sources indiennes, un Mig-21 pourrait ainsi être détecté à plus de 125 km (on a évoqué le cas d’un Su-27 détecté à 330 km). Dans les applications air-surface, des chars de bataille pourraient être détectés à 40 km. Le radar peut suivre 15 appareils simultanément et permettre d’engager 8 cibles, y compris (si l’appareil est suffisamment proche) des missiles de croisière. Le radar est également couplé à un système de liaisons de données permettant de transmettre les informations recueillies à un maximum de 4 appareils amis et dispose de systèmes ECCM annexes.
À terme, le remplacement du Bars par un AESA a été évoqué à plusieurs reprises par l’Irbis. Couplé à de nouveaux ordinateurs et logiciels, il dispose d’un champ plus large et est en mesure de suivre des objectifs d’une RCS de 3 m² à grande distance. Il serait également en mesure de poursuivre 30 cibles et d’en engager 8. Le radar serait, en outre, compatible à l’utilisation du Novator KS-172, missile air-air de longue portée à propos duquel des discussions ont eu lieu entre la Russie et l’Inde dès 2004, sans toutefois qu’elles ne débouchent sur un accord formel. Avec une portée estimée à 300/400 km et une vitesse de M. 4, le KS-172 a été évoqué, en plus de frappes air-air BVR, dans le cadre de missions anti-AWACS ou antisatellites.
Second capteur d’importance pour le Su-30MKI, le système IRST OLS-27 offre au pilote et au WSO une capacité FLIR de jour comme de nuit qui peut être utilisée en conjonction avec le système de visée sur casque. Le système peut détecter des cibles à 50 km en poursuite. Le système comprend également un télémètre laser, utilisable dans des engagements air-air et air-sol. L’appareil peut également être équipé du pod de désignation Litening incluant un FLIR, une caméra TV, un système de détection de spot laser et un désignateur laser.
Le Su-30MKI dispose de contre-mesures électroniques incluant un RWR (Radar Warning Receiver) conçu et produit en Inde par le DRDO, le Tarang. Capable de donner la direction d’une émission radar (via le système DARE, également conçu et produit en Inde), il est lié à une bibliothèque de signatures. Le Tarang est lui-même couplé à un brouilleur d’autoprotection Elta EL/M-8222. Ce dernier est installé dans un pod et comprend un système ESM. L’appareil est bien entendu doté de leurres thermiques et radar. Au surplus, l’appareil est équipé de systèmes de communication comprenant des radios à saut de fréquence et un IFF, également développés par le DRDO indien. Il faut y ajouter un système d’autodiagnostic (HUMS – Health and Usage Monitoring System). L’architecture de l’avionique est conçue en « source ouverte » et est gérée par un bus multiplex MIL-STD-1553B.
Des capacités militaires puissantesAppareil puissant, le Su-30MKI est doté d’un canon monotube GSh-301 de 30 mm (cadence de 1 500 à 1 800 coups/minute) approvisionné à raison de 150 coups. Il dispose en sus de 12 points d’emport pour une charge externe maximale de 8 tonnes comprenant une variété d’AAM à courte (R-60MK/AA-8 Aphid et R-73MDM2/AA-11 Archer), moyenne (R/27R1AA-10 Alamo C et TE-1 D) et longue portée (R-77RVV-AE/AA-12 Adder) ; de missiles air-surface (Kh-29T AS-14B guidés par TV et guidés laser Kh-29L AS-14C Kedge ; Kh-59/AS-13 Kingbolt et Kh-59M/AS-18 Kazoo, nécessitant alors l’emport d’un pod de liaisons de données APK-9) ; de missiles antinavires (Kh-31A/AS-17 Krypton) ; de missiles antiradars (KH-25MP/AS-12 Kegler et Kh-31P AS-17 Krypton) ou encore d’une arme nucléaire tactique.
L’appareil peut également emporter des bombes guidées laser ou TV KAB-500 (maximum 6) et KAB-1500 (maximum 3) ; des bombes cluster RBK-500 (maximum
, jusqu’à 28 bombes free fall OFAB-250/270 ou encore 8 bombes free fall FAB-500T. Jusqu’à 4 pods de roquettes peuvent aussi être utilisés. À terme, les appareils indiens devraient pouvoir tirer le missile BrahMos, conçu en coopération avec la Russie (SS-N-26). Entrant actuellement dans la catégorie des ASCM (Anti-Ship Cruise Missile), l’engin voit son développement poursuivi, notamment dans le domaine de la frappe terrestre(1). Jusqu’à 3 missiles pourraient équiper les Su-30MKI, du moins si les bureaux d’étude parviennent à réduire leur masse. Sachant que le radar Bars peut détecter de grands bâtiments jusqu’à une distance de 400 km et de petits bâtiments à 120 km, la portée du BrahMos (290 km) sera parfaitement exploitée.
Un instrument politique de premier planLa disposition d’un nombre relativement élevé de Su-30MKI assure à l’Inde d’importantes capacités de frappe dont la portée politique ne doit pas être sous-estimée. La littérature fait ainsi état de vols de 10 heures menés depuis la base de Pune et amenant les appareils au-dessus des îles Andaman et Nicobar et ce, de façon quasi-routinière. La révélation de la capacité nucléaire des appareils a également été perçue comme un facteur de tension entre Delhi et Islamabad. Enfin, les engagements indiens contre l’US Air Force et la Republic of Singapore Air Force (10 F-16 singapouriens « abattus » pour aucun appareil indien perdu) ont largement été exploités par les uns (la force aérienne indienne) comme par les autres (l’US Air Force et les promoteurs du F-35 comme du F-22). Le fait qu’un État, présenté encore il y a moins de 10 ans comme « en voie de développement » dans de nombreux manuels de géographie et autres ouvrages de science politique, puisse battre à plate couture deux des meilleures forces aériennes au monde a été perçu comme signant l’émergence d’une nouvelle superpuissance régionale.
À cet égard, alors que plus de 50 appareils ont déjà été reçus (l’ensemble de la flotte devant être livrée vers 2017), force est de constater que l’appareil a également été transformé en vecteur du savoir-faire indien en matière aéronautique. Cette politique comportait toutefois des risques. Alors que le dernier appareil de combat conçu en Inde était le HF-24 Marut (premier vol en 1961 ; retrait du service en 1985), le développement du Tejas a passablement pris du retard. De même, la construction sous licence de 140 Su-30MKI a été remise en question, l’IAF estimant finalement que ce type de procédé doublerait les coûts de l’appareil. Finalement, la question de la production des appareils n’est pas complètement tranchée mais il est un fait certain que les contrats seront conduits à leur terme. L’IAF disposera alors d’un instrument de combat particulièrement dissuasif, dont la puissance sera démultipliée lorsque les premiers des 3 Phalcon, appareils AEW, arriveront. À ce moment-là, l’Inde disposera sans doute et non seulement d’un des appareils les plus aptes au monde à mener un dogfight, mais sera également en mesure de mener des plans d’interdiction aérienne dans la profondeur du territoire adverse en faisant un usage minimal de son radar.
Encadré : Le Su-30MKI en bref
Équipage : Un pilote, un Weapon System Officer (WSO).
Performances : vitesse maximale : Mach 2 ; plafond : 18 000 m ; rayon d’action au combat, basse altitude : 1 300 km ; taux de montée (combat) : 230 m/sec ; taux de montée maximal (configuration lisse) : 303 m/sec ; rapport poids/puissance : 0,77 ; facteur de charge maximal : 9 G ; course de décollage à charge normale : 550 m ; course d’atterrissage à charge normale : 750 m.
Masse : masse à vide : 17,7 t ; MTOW : 34,5 t (38,5 t ont été évoquées mais sans être confirmées) ; charge ailaire : 556 kg/m².
Dimensions : envergure : 14,7 m ; longueur : 22,10 m ; hauteur : 6,38 m ; surface ailaire : 62,04 m².
Armement : un canon GSh-301 de 30 mm approvisionné à raison de 150 coups ; 12 pylônes sous voilure, aptes à recevoir une charge maximale de 8 t. d’armements incluant des missiles air-air AA-10, -11 et -12 ; des missiles air-sol AS-14 et AS-18 ; des missiles antiradars AS-12 et -17 ; des missiles antinavires AS-17 ; des bombes guidées de la famille KAB, des bombes lisses, des pods de roquettes, des bombes incendiaires et à sous-munitions, une arme nucléaire.
Par Philippe Langloit, chargé de recherche au CAPRI (article publié dans Technologie & Armement, n°6, juin-juillet 2007 – aucune reproduction sans autorisation préalable de la rédaction)