"Green Zone", chasse aux mensonges dans l'enfer vert de Bagdad - Avril 2010
Après «La Mémoire dans la peau», Paul Greengrass retrouve Matt Damon dans une quête effrénée des armes de destruction massive
GREEN ZONE de Paul Greengrass
Film américano-anglais, 1 h 55
C’est toute la force de ce cinéma anglo-saxon : allier le sens du spectacle, le rythme haletant du thriller à une étonnante réactivité permettant d’appréhender une réalité complexe, tirée de l’histoire récente. Et proposer, à travers le divertissement, des films beaucoup plus engagés qu’ils n’en ont l’air.
De La vallée d’Elah (Paul Haggis, 2007) à Battle for Haditha (Nick Broomfield, 2008) et aux Chèvres du Pentagone (Grant Heslov, 2009), la question de l’Irak ne cesse d’être posée, afin de démonter les raisons, les conséquences ou les errements d’une guerre déclenchée froidement sur la foi d’un gigantesque mensonge.
Avec Green Zone, Paul Greengrass apporte sa contribution au débat en s’inspirant d’une enquête de Rajiv Chandrasekaran, ancien correspondant de guerre du Washington Post (1). Et centre son film sur l’argument falsifié du conflit : les armes de destruction massive (AMD).
Le cinéaste a gardé ses réflexes d’ancien reporter de télévision
Auteur de trépidants films d’espionnage (La Vengeance dans la peau, La Mort dans la peau), mais aussi d’œuvres consacrées au terrorisme (Bloody Sunday sur l’Irlande, Vol 93 sur le 11-Septembre), le cinéaste britannique a gardé ses réflexes d’ancien reporter de télévision : goût de l’action et de la vitesse.
Matt Damon, avec qui il a déjà collaboré deux fois, reprend ici du service sous les traits d’un jeune sous-officier de l’armée américaine, Roy Miller, à la tête d’une unité affectée à la recherche des fantomatiques AMD. Et qui, las de prendre tous les risques pour s’emparer d’objectifs farfelus, commence à mettre en doute le travail de la CIA.
Quelques invraisemblances et raccourcis
Intoxication de la presse – qui a aidé à préparer l’opinion à la guerre et qui s’impatiente qu’on ne trouve rien –, fonctionnement erratique de l’armée subordonné au plan de communication des responsables de Washington, concurrence entre les services de renseignement ou entre troupes régulières et forces spéciales, agressivité des soldats suscitant l’ire de ceux qu’ils sont censés «libérer», soustraction de prisonniers et torture... : tout ce qui a pu contribuer à définir la guerre en Irak est savamment intégré à l’histoire. Jusqu’à la magnifique piscine de la fameuse « zone verte » de Bagdad, oasis peuplée de fonctionnaires américains en mission, en plein cœur d’une capitale livrée à l’enfer.
Bien sûr, on pourra reprocher au film quelques invraisemblances et raccourcis, ainsi qu’une construction trop systématique dans la personnification des enjeux. Un tel représente le « bon » espion américain, travaillant à l’ancienne et soucieux d’une reconstruction durable, tel autre incarne les attentes de la population de Bagdad…
Green Zone parvient pourtant à explorer de manière très intéressante es thèmes de la vérité et de la justice. Surtout, le film présente tous les points de vue, y compris du côté irakien, et évoque la difficile question du remplacement de l’élite dirigeante. En dépit de l’association Greengrass/Damon, il n’a pas séduit le grand public américain, las du sujet ou pas prêt à tout entendre.
Arnaud SCHWARTZ