ANDRÉ BOURGEOT : "L'ONU HÉSITE À PRENDRE SES RESPONSABILITÉS"

[ROMARIC OLLO HIEN / AFP] - 27 sep 2012 à 18:26


Des combattants du groupe armé Mujao qui contrôle une partie du Nord-Mali.

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Les modalités d'une intervention militaire au Nord-Mali, contrôlé par des groupes islamistes, ont été au coeur des discussions à l'Assemblée Générale de l'ONU, cette semaine à New York. Mais de nombreux obstacles s'opposent encore à sa mise en place. André Bourgeot, directeur de recherche émérite au CNRS, analyse la situation pour Direct Matin.

http://www.directmatin.fr/monde/2012-09-27/andre-bourgeot-lonu-hesite-prendre-ses-responsabilites-139413

Une intervention au Nord-Mali est-elle inéluctable ?

La décision du Conseil de sécurité n'a pas été prise. Il semblerait qu'il y ait des réticences car les modalités de l'intervention ne sont pas très claires. Cela fait des mois qu'on assiste à des tergiversations, et l'ONU hésite à prendre ses responsabilités. La communauté internationale craint des dégâts collatéraux, et certains pays africains ne sont pas prêts à intervenir. Des pays comme le Sénégal, le Maroc ou l'Algérie n'enverront pas de militaires. Il faut ajouter que les Maliens sont d'accord pour une intervention de la Cédéao (la force africaine, NDLR) mais sont hostiles à une intervention des puissances occidentales.

Pourquoi la France est-elle en première ligne ?

On peut se poser la question. Il pourrait s'agit d'une diversion par rapport aux difficultés rencontrées par le gouvernement sur le plan de la politique intérieure, ou d'une manière de montrer l'attachement de la France à l'Afrique. Mais la France n'enverra pas de troupes au sol. Elle est plutôt susceptible d'accorder un appui logistique aux forces africaines. Comme c'est le cas au Niger, des militaires du COS (Commandement des opérations spéciales) sont probablement déja présents au Mali.

Quels obstacles s'opposent à une intervention ?

Si l'intervention militaire se confirme, cela risque de produire une solidarité politico-religieuse. Des salafistes de Libye et de Tunisie pourraient rallier le Mali pour défendre les groupes armés sur place. Des groupes nigérians - Boko Haram - et de combattants égyptiens et libyens sont d'ailleurs déja sur place. On pourrait aussi assister à un phénomène de solidarité ethnique. Les Touaregs pourraient refuser que leurs frères se fassent tuer. Il faut aussi prendre en compte la situation de déstabilisation de la région, alors qu'on compte selon l'ONU près de 400 000 réfugiés et que le Niger et le Sénégal sont confrontés à des inondations et à des épidémies de choléra.

Quelle forme pourrait prendre une opération militaire ?

Si intervention il y a, elle ne pourrait se faire que d'ici trois à six mois. D'ici là, il peut se passer beaucoup de choses. Et il n'est pas impossible que les djihadistes descendent vers le Sud, car ils peuvent être renforcés de l'extérieur. Tout laisse à penser que les émirats comme le Qatar jouent un rôle dans le soutien aux mouvement djihadistes. La solution idéale serait de donner à l'armée malienne les moyens d'intervenir. Mais la Cédéao a bloqué ses moyens militaires, notamment des semis-blindés stationnés à Conakry. Il y a un manque de confiance envers l'armée après le coup d'Etat contre le président Touré, et on entend aussi des rumeurs selo lesquelles les militaires eux-mêmes n'ont pas envie d'intervenir au Nord.

Comment expliquer que la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton exige des élections démocratiques avant toute intervention ?

Comment peut-on tenir de tels propos quand on est à la tête d'un pays comme les Etats-Unis ? De telles élections n'auraient aucune valeur alors que les deux tiers du Mali sont en dehors de la souveraineté nationale. Il semble que les Américains ne souhaitent pas attiser l'hostillité dont ils font l'objet actuellement dans le monde musulman. Et surtout, une intervention pourrait nuire à la candidature d'Obama, qui a tout à perdre à tenir des propos va-t-en guerre. D'autant que l'expérience américaine en Afghanistan n'a pas franchement été une réussite.

En attendant, quelle est la situation au Nord-Mali ?

Les salafistes se renforçent en recrutant de plus en plus des jeunes de 13-14 ans, des enfants soldats. Dans un contexte où il n'existe aucune perspective d'avenir, il suffit d'avoir de l'argent pour entraîner quelqu'un. Et les salafistes peuvent aussi être perçus comme susceptibles de faire revenir l'ordre dans une situation chaotique. Toutefois, les jihadistes ne peuvent pas compter sur une adhésion populaire. Car l'Islam des groupes armés n'est pas celui des populations, qui sont composées de musulmans modérés, pas de fanatiques. Mais le développement d'un mouvement de résistance est imporbable, car les groupes salafistes font régner la terreur.