Marzouk, parcours d’un combattant en quête de cause
Marzouk un homme, un combat, un parcours allant de son pays le Maroc en passant par l’Algérie où il enseignait pour arriver en Palestine, en Jordanie tout près de la Syrie où il combattait pour libérer des terres usurpées et pour soutenir des Palestiniens en lutte pour enfin revenir dans son pays rongé par la torture, l’arbitraire et les injustices !
Dans cette note, nous esquissons quelques stations de la vie de cet homme un peu hors du commun racontées par lui-même !
Citation :
Naissance et enfance à Figuig
Selon mes divers parcours, j’ai eu des surnoms de Znagui (alias de combat), d’Erbid car j’étais en Jordanie, d’Ajoundey et de Ljound vu mon statut militaire… Mon vrai nom est Mohammed O’Marzouk. Je suis né en 1943 ici même à Figuig. Mon père a quitté la vie quand j’avais à peu près deux ans. Je ne m’en souviens pas du tout. Il travaillait en Algérie où il est mort. Moi, je suis né dans la maison où j’habite encore et toujours. C’est feu mon oncle Cheikh O’Marouk qui m’a élevé. J’ai fait mes premières études à akherbich (école coranique) chez Douddou Khlouf. Après, j’ai étudié à l’école Annahda.
J’ai participé à la construction de cette école. A l’époque, on nous chargeait des ânes que nous suivions les bambins de mon âge et moi. J’étais tout petit mais j’ai contribué quand même et à ma façon. Nous n’étions pas encore indépendants et c’était un peu difficile car les colons ne toléraient pas une telle école. J’ai étudié chez Mou Douddou O’Fraj, Ssi Mohammed O’Bouaza, Môu Bachir, Outkhilla… On nous enseignait la langue arabe, le coran, la théologie, la poésie et un peu de calcul. L’enseignement se portait bien à l’époque.
Quartier Abira, j’y suis né et j’y habite toujours !
A l’école française (Likoun), on donnait de l’argent, des vêtements et même des parts d’eau d’irrigation (1/2 de takherroubt) aux élèves. Moi, je n’y suis pas allé. J’ai passé mon examen vers 1960 à Oujda et j’ai échoué mais l’année suivante, j’ai réussi. De là, je suis passé à l’école secondaire de Môu Belkhir dite Alhassania. Il y avait parmi nos enseignants deux égyptiens. J’ai achevé mes études secondaires dans cette école et j’ai passé mon examen de brevet sans succès à Oujda. A l’époque tous les élèves de l’Oriental passaient leurs examens dans une seule et même école située à Oujda. Les gens donnaient beaucoup d’importance aux études. C’était très sérieux. Nos enseignants n’avaient pas de salaires, nous leur donnions 10 doros par mois en guise de contribution à leurs salaires. Je me souviens de la défunte Tatta Zanna qui s’occupait du confort de l’école. Elle nettoyait, préparait l’eau… Elle était une vraie combattante la pauvre !
En parallèle avec l’école, je travaillais au jardin et je faisais toutes sortes de travaux avant qu je prenne la route vers l’Algérie après son indépendance
En 1960, quand, même un oiseau peinait à atteindre le sol de ces jardins couverts de palmiers et d’arbres, des fellagas algériens se réfugiaient ici dans nos jardins et en menaient leurs attaques contre les bases françaises. La France a procédé à la destruction d’une partie de la palmeraie. L’Algérie n’a pas fait mieux en achevant de donner la mort au reste. En 1976 l’Algérie nous a chassé de nos jardins qu’elle a usurpés et rasés ou brûlés. Le Maroc s’occupait du Sahara. Voilà notre mérite.
Vers l’automne 1960, la France abattait notre palmeraie de Taghla avec des chars qu’elle attachait aux palmiers pour les faire tomber et avec des bombes qu’elle leur lançait. Elle les brûlait ainsi. Elle voulait riposter par ce geste aux fellagas algériens qui s’abritaient à l’intérieur de notre palmeraie de Taghla et qui menaient de là des opérations à Beni Ounif. C’est la région qui se situe dans Charij n At Lhaj… Actuellement cette palmeraie est usurpée par l’Algérie et complètement rasée par ce pays.
Pour protester contre cette sauvagerie française, nous avons organisé une marche autour de Zenaga en scandant « Notre terre est perdue, notre gouvernement somnole » « biladouna dayεa, houkoumt na naεsa ». Nous voulions inciter nos responsables à réagir ou au moins à voir pourquoi la France nous traitait ainsi. Au lieu de nous écouter, on nous a envoyé les forces de répressions (CMI) ici depuis Oujda. A l’époque l’Etat était très absent et il ne faisait rien : ni travail ni rien du tout. Ces forces de répression ont organisé des rafles générales à Zenaga et ont arrêté l’ensemble des jeunes et des hommes âgés à l’école Lemderset tajditt (dite aujourd’hui Ibnou Abdou Rabih). C’est une école construite par le peuple au moyen de « abzar » et « twiza »[1]. Ces forces procédaient à l’arrestation de toute personne rencontrée sur leurs routes. A l’école c’était la torture massive.
La France coloniale détruisait et brûlait nos palmiers et les forces de répression marocaines nous battaient. Il y avait ici le défunt Bahi Mohammed, le militant(USFP) qui circulait habillé en voile dans les rues de Zenaga pour voir ce qui s’y passait. On utilisait pour communiquer avec l’extérieur le téléphone de Hemmou Hou O’Lhaj (d’At Kbouch). C’était l’unique téléphone à Zenaga à l’époque.
Moi, je faisais partie de ces gens arrêtés et détenus. On nous a ramenés au Birou (Administration marocaine qui a pris la relève de l’administration coloniale) où on nous a incarcérés. Moi, ils m’ont pris directement de la place Tachrafte au Birou sur un camion. Il y avait parmi nous des tous jeunes mais aussi des vieillards de 70 ans, de 80 ans et même de 90 ans. Il y avait entre autres vieillards Môu Pana, Dadda Mellal O’Bouakka… A l’époque j’avais 17 ans. On nous a transférés vers les tribunaux d’Oujda sur des camions comme des moutons. A Figuig, il y avait comme raïs du cercle de Figuig M. Mechrafi. A Oujda, une marche contre notre arrestation a été organisée.
Il y avait un grand bassin qui alimentait certains jardins. Aujourd’hui, le jardin s’est transformé en dune qui cache un grand poste militaire algérien qui ne va pas attaquer les français cette fois mais nous, les pauvres figuiguiens, qui les abritions ici quand leur pays était colonisé. Ironie du sort !
La force de la torture marocaine a soutenu que nous allions partir en Algérie. Elle a tout inversé. Je faisais partie d’un groupe d’une trentaine de personnes. On nous a remis au commissariat d’Oujda puis nous avons comparu devant les tribunaux de cette ville et de là on nous a jetés directement en prison. Leur enquête est arrivée, nous avions un avocat d’origine algérienne. Il se nommait Triki. Nous avions beau expliquer au juge ce qui se passait réellement et ce que faisait la France pour nous, il ne voulait comprendre que ce qu’il avait en tête. Le résultat était un mois de prison pour tout le monde. Ils étaient très généreux avec nous ces juges ! On nous a lâchés à Oujda et on ne nous a pas transportés à Figuig. Si Hmed Elaarabi nous a accueilli chez lui. Nous avons mangé et dormi chez lui. Nous avons par la suite pris le car vers Figuig à nos frais. En arrivant à Figuig, nous avons trouvé l’ensemble de la population qui nous attendait place la Douane / Zenaga.
Apparemment, il y avait un appel à manifestation nationale le jour même où nous manifestions contre la France à Figuig. Mais, me semble-t-il, au dernier moment, il a été annulé et comme on a organisé une marche, l’Etat marocain aurait cru que nous manifestions dans ce cadre général ou national. En tout cas, à l’époque, à Figuig, les gens n’étaient au courant de rien. Mais, que sais-je, pour nous, la France détruisait systématiquement nos palmiers et nous avons manifesté contre ce Maroc qui ne nous défendait pas.
Cet événement m’a fait comprendre à quel point note pays nous a abandonnés et à quel point nous sommes marginalisés et sans aucune valeur pour notre pays où tout espoir était vain.
Comment ne pas manifester sa colère quand on voit un paradis se transformer en désert. (Palmier et structure de murs : derniers témoins !)
Très écrasé par ce sentiment, je me suis rendu en Algérie via Beni Ounif car à l’époque, on passait les frontières sans problème et sans aucune formalité. De Beni Ounif, je me suis rendu à Colomb Bechar où mon oncle travaillait. C’était 1962, l’Algérie était fraîchement indépendante. J’ai trouvé qu’on recrutait des enseignants dans ce pays et j’y ai déposé une demande. Ils m’ont demandé ce que j’avais comme diplôme. Je leur ai dit que j’avais l’attestation primaire et que j’ai passé mon brevet. Moi, je n’ai pas fait d’études chez les « roumis » mais à l’école Elhassania ou tout était dispensé en arabe. J’ai été accepté et affecté à Tindouft en 1962 vers le mois de septembre. Mon ami Talchi Ahmed a été affecté à Ksiksou près de Laabadla pas loin de Bechar.
J’ai travaillé à Tindouft en tant qu’instituteur et j’étais le seul qui enseignait en arabe. Tout le reste était fait par des Français en français. Il n’y avait que les Français. J’étais très bien traité, je n’avais aucun problème en Algérie. Je disposais de tous mes droits, j’étais bien respecté et je travaillais dans la dignité. Nous habitions même une maison sans frais de loyer.
Guerre des sables 1963
La guerre des sables s’est éclatée mais je n’avais aucune idée sur ce conflit. Les Français commençaient à quitter Tindouft. Pour remplacer les enseignants qui sont partis, les Algériens ont engagé des militaires pour garder les élèves. J’étais le seul civil et personne d’autre avec moi. Je me souviens des instituteurs français comme M. Cerise, M. François, M. William, M. Jacob… qui travaillaient dans la même école que moi.
1963, Qachtine : barricades et tranchées, côté marocain.
La guerre s’est éclatée donc. Ce jour-là, j’étais dans un café en train d’écouter la radio marocaine quand tout à coup j’ai entendu Hassan II qui disait « Dekhlou Figuig ikherjou Figuig ! Dekhlou Ich, ikherjou Ich ! » (Ils ont mis les pieds à Figuig, ils doivent quitter Figuig. Ils ont mis les pieds à Ich, ils doivent quitter Ich). J’étais très ému : « Comment ! » Des militaires algériens m’ont vu et m’ont demandé ce que j’avais. Je leur ai expliqué ou répété ce que j’avais entendu. On m’a rassuré en me disant que ce n’était rien car ces mêmes militaires venaient de rentrer de la région et il n’y avait pas d’affrontements.
Je suis resté dans la région. La guerre a cessé et j’ai continué à enseigner. Un temps après, on a commencé à envoyer des enseignants d’arabe dans la région.
Je suis resté à Tindouft jusqu’en 1965 quand j’ai reçu la mutation vers Saïda car les Algériens ont exigé que les marocains se trouvant sur leur territoire ne travaillent pas dans des zones frontalières. J’ai pris la route moi et Mohammed O’Ramdane vers Saïda près de Mechria.
Dans cette ville, on avait besoin de deux instituteurs marocains un peu expérimentés et c’était nous. On n’a accepté que moi et Mohammed O’Ramdane. Les autres ont été envoyés ailleurs. Moi, on m’a envoyé vers un petit patelin dit Houinet, Mohammed O’Ramdane vers Bortoro. Nous y avons travaillé. Une année après, moi, je suis revenu à Bechar et j’ai rencontré un inspecteur d’enseignement avec lequel j’ai fait un stage à l’école normale de Bouzaria et je lui ai demandé de m’affecter vers Bechar.
Il a accepté et m’a affecté vers Berzina dans la région de Labyed Sid Cheikh. J’y ai trouvé Hmed Cheikh et Hmed O’Bouakka. Ce sont eux qui m’ont appelé là-bas car c’était un bon coin. J’y ai enseigné quelques jours. En 1965, je me suis rendu à Sidi Bel Abbas pour avoir un passeport marocain. Il y avait Abbas El-Fassi à l’époque là-bas. C’était lui qui m’a signé mon passeport. Cela m’a coûté trois heures d’attente. C’était un passeport un peu particulier sur lequel était mentionné Maroc et Algérie en même temps.
Je voulais rentrer au Maroc par la frontière d’Oujda par Jouj-Bghal. Les marocains m’ont arrêté à cette frontière. Ils ont retenu mon passeport me laissant attendre pendant une journée entière. Quand je demandais mon passeport, l’agent de police sirotait son café et me regardait avec dédain. Fatigué vers 15 heures, j’ai protesté. Ils m’ont insulté et m’ont mis dans un cachot. Un moukhazni m’a dit : « Calme toi et attend jusqu’à ce que la voiture de l’amour (taksi algharam) arrive pour te prendre vers le commissariat de la ville d’Oujda ».
J’avais à retourner en Algérie et me naturaliser dans ce pays mais je tenais beaucoup à ma marocanité et à mes origines malgré toutes ces souffrances. Huit heures ont sonné (20 h) et on m’a ramené au commissariat d’Oujda vers la cave. J’y subissais des interrogatoires musclés quotidiens sur ce que je faisais en Algérie. Les policiers m’accusaient de tout ce qui passait par leurs têtes. Je ne comprenais pas ce qu’ils cherchaient. Ils demandaient des informations sur des personnes que j’ignorais.
Après 15 jours de détention dans des caves, ils m’ont lâché et je me suis rendu à Figuig. Deux jours après mon arrivée, la police marocaine est venue me chercher encore. Je me suis aperçu qu’ils allaient encore me prendre et me torturer car à l’époque la police était trop méchante et elle torturait sans raison. Les policiers se comportaient en véritables tyrans. Ils ne s’assuraient de rien avant de procéder à la torture. Quand quelqu’un étaient entre leurs mains, il est accusé et torturé jusqu’à ce qu’il dise ce qu’ils voulaient tirer de lui. Ils étaient pires que les colons.
J’ai dû voyager avec un camionneur vers Oujda à minuit et je me suis rendu chez quelqu’un d’influent pour me plaindre à lui. Il a fixé un rendez-vous avec le commissaire à la gare. Il m’a rassuré et m’a aidé à traverser par train vers l’Algérie sans difficulté. Nous sommes rentrés Bahou Bella Sbaii et moi. Moi, je suis arrivé à Oran puis de là, je suis parti vers Berzina / Saïda et j’ai repris le travail.
Lettre ouverte à monsieur Benkirane, Chef du gouvernement du Royaume du Maroc
Excellence,
Depuis le mois de janvier 2012 alors que votre gouvernement parle de rapprochement et d’entente avec nos frères et voisins algériens depuis Rabat, l’armée de notre pays nous interdit, à Figuig, d’accéder à nos terres proches de la maudite frontière séparant ces deux pays et notamment les régions de Zouzfana, de Meliès et de Grouz qui se trouvent à deux pas de nos habitations.
Faut-il rappeler à votre Excellence, que le territoire de Figuig a été mutilé par la France coloniale et que l’Algérie indépendante n’a pas fait mieux en grignotant une bonne partie de nos terres tout simplement millénaires ?
Aujourd’hui, Excellence, sous prétexte de nous protéger des éventuelles incursions de l’armée algérienne, en plein territoire marocain et sous menace de nous transférer directement vers la justice, l’armée de notre pays nous interdit tout accès à nos terres mentionnées ci haut et ce depuis janvier 2012 date à laquelle des caméras fraîchement installées sur notre sol nous interceptent dans nos territoires et nous signalent comme corps étrangers en plein territoire du Royaume du Maroc.
Est-ce un crime que de nous rendre dans nos terres ?
Sommes-nous en situation de guerre ?
Doit-on nous évacuer de Figuig pour nous protéger d’une éventuelle incursion militaire algérienne ?
Excellence, il s’agit d’une véritable humiliation que nous subissons par de tels actes, nous dont la plaie de l’ère coloniale, des malaises des années de plomb et des hostilités algériennes reste encore ouverte.
A l’heure où la population de Figuig s’attend aux indemnisations sur ses terres (source de sa vie), passées en quelques décennies en territoire algérien et à l’heure où l’on parle de réconciliation nationale, notre belle petite oasis s’est tout simplement transformée en une véritable prison à ciel couvert.
Puisse votre Excellence intervenir pour que justice et réparation soient faites !
Recevez, Excellence, l’expression de mon respect.
Hassane Benamara
Au nom d’un peuple éternellement pourchassé.
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Figuig
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